Sidi Bousaid n’a jamais été aussi belle, les murs aussi blancs, le soleil aussi majestueux. Sidi Bousaid était prête à accueillir dans un bout d’elle-même, le corps d’Azzedine Alaïa. C’est dans une villa sur les hauteurs du village, qu’une poignée de gens discutaient sur le pas de la porte. Des visages connus, d’autres anonymes se rassemblent en petits groupes pour partager des souvenirs, la peine qu’engendre cette peine.
Disparu à 77 ans, c’est l’éternité que s’est offerte le grand créateur en inscrivant à jamais son nom dans la mode. Le parcours d’un enfant d’agriculteur et petit-fils de policier, il a tracé sa route avec génie et discrétion. Petit garçon, cancre à l’école, il racontait des histoires dans la cour contre des crayons de coloriage, il passait ses vacances à Silana. À Paris, il habitera chez la Comtesse de Béziers et travaillera quelques jours chez Dior. Reste de lui des collections et une leçon de vie.
Des politiques tunisiens étaient présents, le président de la République Béji Caïd Essebsi, le ministre de la Culture Mohamed Zine El abidine, ou encore Noureddine Ben Ticha.
On retiendra l’annonce du ministre de la Culture : un grand événement à la mémoire du couturier. Dans un vrai marathon médiatique, le ministre a rendu hommage au talent de l’artiste, et la fierté qu’il représente pour le pays. Cependant la disparition de Azzedine Alaïa ne devrait-elle pas soulever des questions de fond sur le statut de créateur de mode en Tunisie, la situation du textile en agonie depuis la « révolution », et la fuite des talents qui sclérose des secteurs de création. Faut-il donc mourir pour exister, partir à l’étranger pour commencer à vivre ? Même si l’exil du grand couturier ne s’est pas fait dans le même contexte politique que ceux qui partent aujourd’hui, la motivation est la même. On ne peut s’empêcher de penser : et si l’enterrement du créateur tunisien avait eu lieu en France, la classe politique aurait-elle était aussi présente ?
L’homme qu’était Alaïa a refusé deux fois la distinction de Chevalier de la Légion d’honneurs, suite à ce refus il a déclaré « Je l’ai fait, uniquement parce que je n’aime pas les décorations, sauf sur les femmes. Vous savez ce qu’est une vraie décoration ? Ma robe sur une belle femme. » Son enterrement était à l’image de cette discrétion qu’il chérissait tant, en petit comité. De ces femmes qu’il a décorées, certaines ont fait le déplacement comme Naomi Campbell, Frida Khelfa ou encore Afef Jnifen. D’autres femmes étaient là, des femmes voilées, des blondes, des jeunes, des plus âgées, elles ont accompagné le petit grand homme jusqu’au cimetière. Les femmes qui ont tant donné à l’œuvre d'Azzedine Alaïa.
La mer Méditerranéenne, celle qui lie la Tunisie à la France, celle qui a changé à jamais le destin du petit garçon de Siliana, veillera pour toujours sur un des grands de ce monde.